Il était une fois un garçon de onze ans. Un été, il partit en voiture avec ses parents de Paris à Cracovie. Lorsqu’il traversa la frontière polonaise, sa randonnée dura trois semaines, dans un pays hanté par ses fantômes. Ce garçon ne savait pas à quoi s’en tenir. Il pensait que l’air qui circulait autour de lui foisonnait de présences inexplicables. Dans les villes, à travers les campagnes reluisantes, qu’importe. Et puis, un jour, il demanda à ses parents de le conduire à Auschwitz-Oswiecim. Il insista. Son père rata le tournant par trois fois. Enfin, conduisant à dix kilomètres à l’heure, ils aperçurent un panneau indicateur qui mesurait à peine soixante centimètres. L’inscription portait le nom d’Oswiecim, chaque lettre noire soigneusement formée. Une flamme rouge servait de ponctuation. La route étroite mena la petite troupe directement au camp. Elle ne s’y attarda pas car la mère du garçon voulait quitter ces lieux maudits à tout prix. Mais le garçon voulait rester. Il était fasciné par les montagnes de cheveux, de lunettes, de valises, de peignes, de prothèses, les instruments de torture médiévaux pour écraser les cervelles, le mur contre lequel les détenus étaient assassinés par un peloton d’exécution.
Ils quittèrent le camp pour se rendre à Varsovie. Là, par un dimanche après-midi ensoleillé, le garçon et ses parents se promenaient le long des avenues désertes de la ville, dont les murs blancs l’aveuglaient tellement ils étaient éblouissants. Puis, venant de nulle part, ils tombèrent sur un juif chasidique, sa tête à peine visible dans l’embrasure d’une petite fenêtre au rez-de-chaussée d’un immeuble. C’était un bouquiniste. Ils lui achetèrent trois livres sur la Pologne, l’un deux s’intitulait: “Nous n’avons pas oublié, we have not forgotten, wir haben nicht es vergessen ! » Ce livre devint la bible du garçon sur la capacité inépuisable de l’homme à commettre des actes de cruauté contre hommes, femmes, et enfants, sans distinction.
Nous sommes seuls, en compagnie des âmes de millions d’hommes, de femmes, et d’enfants avalés dans un ouragan de haine et de cruauté, perdus à jamais, leurs cendres parsemées dans le vent, réduits en poussière, relégués à la terre. Des âmes agitées.